Paroles d'experts : Françoise Picot répond à nos questions
Licenciée en Histoire, institutrice puis conseillère pédagogique, Françoise Picot est inspectrice de l’Education Nationale française (IEN).  Auteure de nombreux ouvrages et outils pédagogiques, elle a écrit plusieurs articles sur l’enseignement de l’histoire à l’école et anime des conférences sur ce thème.  Elle anime aussi le blog pédagogique de la revue «l’école aujourd’hui».

Françoise Picot est l'auteure de l'article intitulé "Des traces pour construire le temps" (voir le dossier de lecture).

Dans les faits, l’histoire semble le parent pauvre de l’école fondamentale : les enseignants y consacrent peu de temps et semblent plutôt mal à l’aise face à l’enseignement de cette discipline
. A votre avis, comment peut-on expliquer cette situation ?
Je répondrais par rapport à l’enseignement de l’histoire en France qui est aussi le parent pauvre :

  • un manque de connaissances des enseignants en histoire
  • un manque de formation sur comment concrètement enseigner l’histoire : quels documents choisir, comment les utiliser, quelles traces garder ?

L’histoire est étrangère aux enfants : elle ne fait pas vraiment partie de leur univers proche ; c’est une donnée culturelle à construire, le plus souvent abstraite. Comment justifier, à leurs yeux, la nécessité et l’intérêt d’apprendre le passé ?

Il est nécessaire de connaître le passé pour comprendre le présent, donc partir de questions du présent pour entrer dans le passé et justifier ainsi l’apprentissage du passé.

Selon vous, quels sont les savoirs historiques minima que tout enfant devrait maîtriser en quittant l’école fondamentale ?
Je réponds toujours par rapport à la France :

  • connaître la succession des périodes et les « événements » qui font que l’on passe d’une période à une autre : l’entrée dans l’histoire, les migrations barbares, les grandes découvertes, la Révolution, la première guerre mondiale
  • connaître quelques caractéristiques des grandes périodes au niveau de la civilisation matérielle, de la société et des pouvoirs.

Aborder l’histoire à l’école primaire, cela ne devrait-il pas se faire principalement par le biais de l’histoire locale, plus proche et plus accessible ?
Au cycle 2 (CP et CE1), c’est essentiellement à partir du milieu proche qu’il faut travailler en histoire pour caractériser la période de 1900 à nos jours : témoignages de personnes âgées, objets anciens, cartes postales anciennes.
Au cycle 3, c’est plus difficile car le temps manque (1 heure par semaine) mais on devrait mener chaque année une petite étude à partir d’un élément du milieu local : musée, château, cathédrale, usine, gare… en lien avec l’histoire des arts puisque l’histoire des arts est une discipline à enseigner en lien avec l’histoire à l’école élémentaire.

La ligne du temps (ou frise historique) semble l’outil incontournable pour enseigner l’histoire. Qu’en pensez-vous ?
Il est fondamental de situer sur une frise : les périodes, les événements, les temps longs, les temps courts ...
Il faut à cet effet utiliser des frises à différentes échelles.
Contrairement aux domaines de l’éveil scientifique ou géographique, où l’on a davantage matière à expérimenter avec les élèves, les leçons d’histoire se basent le plus souvent sur des lectures de textes. Finalement, les difficultés rencontrées par les élèves en histoire ne seraient-elles pas d’abord des difficultés en lecture ?
Les textes historiques d’époque me semblent difficiles à utiliser pour les périodes anciennes à part quelques uns fort connus comme la Guerre des Gaules et qui ont été adaptés pour être lus par les enfants.
Il est plus pertinent d’utiliser des documents iconographiques d’époque à condition qu’ils soient pédagogiques c'est-à-dire puissent être questionnés par les enfants, être porteurs d’informations et que l’on peut mettre en relation pour construire une synthèse.
Il y a aussi le récit d’historien, plus facile qui peut compléter l’apport d’informations obtenues par l’observation de documents.

Que pensez-vous des manuels en histoire ? Sont-ils de bons outils ? A quelle(s) condition(s) ?
Etant auteure de manuel, je ne vous dirai pas que les manuels ne sont pas de bons outils. Ils doivent partir d’une question portant sur un contenu historique à acquérir (Comment vivaient les grands chasseurs de la Préhistoire , par exemple) et proposer des documents grands, lisibles, pédagogiques accompagnés d’un questionnaire les mettant en relation pour répondre à la question posée. Le texte d’historien (auteur du manuel) vient en complément pour dire ce que ne disent pas les documents.
Le problème du manuel est dans l’utilisation qu’en fait le maître qui souvent se contente de lire ou faire lire le texte des auteurs du manuel et de faire regarder en illustration les « images ». C’est ce que j’ai vu lors de mes inspections en école primaire. Pour moi, ce n’est pas comme cela qu’on enseigne l’histoire et que les élèves peuvent s’y intéresser.
Selon vous, peut-on dégager une progression logique dans l’enseignement de l’histoire à l’école fondamentale ? Si oui, cette progression doit-elle être chronologique (en abordant, par exemple, les périodes historiques les unes à la suite des autres dans l’ordre) ?
La progression que je propose en France en Histoire est la suivante

  • au CP (6 ans) et au CE1 (7 ans) : le passé proche, de 1900 à nos jours à travers les grands changements de la vie quotidienne à la ville et à la campagne
  • au CE2 (8 ans) : mise en place des périodes à travers des diachronies : lire et écrire, les transports, se nourrir au fil du temps), puis une courte étude de chaque période à travers les cadres de la civilisation matérielle : habiter pendant la Préhistoire, les villes et la villa gallo-romaines, seigneurs et paysans au moyen Age, en ville au temps des rois, les usines et le développement des villes au 19ème siècle ;
  • au CM1 (9 ans) : étude des caractéristiques des périodes de la Préhistoire au temps des rois
  • au CM2 (9 ans) : étude des caractéristiques des périodes des Lumières à nos jours

Beaucoup d’auteurs évoquent la dimension « citoyenne » de l’enseignement de l’histoire.
a. Quels sont les savoirs historiques nécessaires au citoyen ?
b. Cette intention n’est-elle pas trop ambitieuse pour des enfants de l’école fondamentale ? Sont-ils suffisamment mûrs pour développer un esprit critique dans le domaine de l’histoire ?
  • Les règles de la société aux différentes époques 
  • La conquête des libertés
  • La constitution de l’Etat et de ses institutions;
  • L’acquisition des droits sociaux
  • La colonisation et le refus du droit à la différence
  • Le mépris du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes  (antisémitisme, guerre d’Algérie)

Certes, c’est ambitieux mais il est possible avec des documents simples d’aborder ces notions et d’organiser des débats autour de ces problèmes

Qu’est-ce qu’être un « bon professeur d’histoire » ? Si vous ne deviez donner qu’un seul conseil aux enseignants maternels et primaires, que leur proposeriez-vous ?
Un bon professeur d’histoire est un professeur qui fait acquérir à ses élèves des connaissances en histoire en suscitant l’intérêt pour la vie des hommes du passé.

Utilisez dans la leçon une démarche simple :
  • présenter le sujet de la leçon sous forme de question, situer l’époque et ce que les élèves en savent déjà
  • faire observer des documents pour répondre à la question
  • apporter des informations complémentaires
  • faire élaborer une synthèse de ce qui a été appris

Françoise Picot,
Le 10/10/2009